JO Tokyo 2021: «  C’était l’enfer…» Comment Kevin Mayer est allé chercher l’argent au bout (du bout) de lui-même

Kevin Mayer a décroché la médaille d’argent du décathlon ce jeudi aux Jeux olympiques de Tokyo.Le Français, qui avait révélé la veille s’être fait mal au dos avant la compétition, raconte comment il a craint à chaque instant de devoir abandonner, jusqu’à la délivrance finale.Vice-champion olympique comme à Rio, il repart avec « un sentiment d’accomplissement » qu’il n’avait encore jamais connu.

De notre envoyé spécial à Tokyo

Il n’était pas venu au Japon pour ça, mais il en repartira meilleur quand même. Kevin Mayer vient probablement de passer les deux jours les plus durs de sa vie de sportif. Les plus instructifs, aussi. Affûté comme un avion pour aller décrocher le titre olympique, le décathlonien a cru avant chacune des dix épreuves que son heure était arrivée. Qu’il devrait enlever son dossard et jeter l’éponge, la faute à ce foutu lumbago qui s’est déclaré il y a une semaine. Mais il a tenu bon, s’est arraché et est finalement allé chercher la médaille d’argent derrière l’intouchable Damian Warner. Un miracle.

« Cette médaille, elle a la saveur du guerrier, du phénix qui renaît de ses cendres. C’est un sentiment d’accomplissement que j’ai rarement eu, apprécie-t-il. A part la hauteur et le javelot, ça n’a été que douleurs, attente et stress. C’était l’enfer. » En fait, Mayer a rapidement compris qu’il ne se battrait jamais pour l’or. Après le lancer de poids, mercredi matin, il a décidé de débrancher. « Je n’ai plus pensé aux points, à rien, juste à me faire plaisir. » Impossible, avec ce dos en compote. Les anti-inflammatoires lui permettent quand même de réaliser deux énormes perfs, celles qui le porteront sur le podium.

Le javelot de la gagne raconté de l’intérieur

Il réalise 2,08 m à la hauteur mercredi après-midi, son meilleur saut en carrière, puis sort un lancer absolument incroyable au javelot lors de l’avant-dernière épreuve, jeudi. Alors qu’on commençait à se laisser endormir par la moiteur ambiante, on a vu un missile partir jusqu’à la baie de Tokyo, suivi d’un cri à faire trembler tout le Stade olympique. On laisse le héros raconter :

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« J’étais vraiment stressé avant, on a attendu pendant six heures, je n’arrivais pas à me reposer parce que je savais que c’était là ou jamais pour la médaille. Je devais mettre 10 mètres à Lepage et Moloney [devant lui aux 2e et 3e places à ce moment]. Au premier essai, je sens que j’ai pas de jambes, rien. Et puis le deuxième, je pense à tous mes proches, il y a cette fameuse transe qui m’est particulière qui monte. Dans ces moments-là je suis beaucoup plus lucide, et au lieu de vouloir absolument mettre une grosse intensité, je ne pense qu’à une chose : ce qu’on a travaillé à l’entraînement toute l’année. Quand ça retombe, je pense qu’il y a 69-70 m. Je me dis “c’est bon j’ai fait le taf”, et puis je vois 73 et je vous assure j’ai perdu mon cerveau. »

Il n’est pas le seul. Son préparateur physique Jérôme Simian et son ami Alexandre Bonacorsi, chargé du suivi de ses performances, se précipitent en bas des tribunes, où les rejoint Mayer. Les trois s’enlacent, se libèrent de toute cette pression accumulée depuis une semaine. Ils savent que sauf cataclysme sur le 1.500 m – qui n’arrivera pas –, l’argent est assuré. « Ça valait le coup de se battre, observera Simian un peu plus tard. On voulait offrir une bataille royale avec Warner, qui était dans une forme fantastique, et ça aurait été un des plus beaux décathlons de l’histoire des JO je pense. Mais on ramène quand même une médaille pour la France. »

Et pas n’importe quelle France. Celle qui n’avait, jusque-là, pas encore de médaille en athlétisme dans ces Jeux. Renaud Lavillenie, qui n’avait pas pu défendre ses chances à la perche, était dans les tribunes, avec son coach Philippe d’Encausse. Ces derniers mois, ils ont participé à l’entraînement du décathlonien. L’un des grands changements apportés par ce dernier à son quotidien, lui qui s’est séparé récemment de celui qui l’accompagnait depuis toujours, Bertrand Valcin, et qui passe de plus en plus de temps à s’entraîner dans  le confort dans sa maison à Montpellier, où il a fait aménager une grande salle de muscu. Et un panier de basket, pour son petit plaisir personnel.

« J’étais face à un mur, et je l’ai cassé avec ma tête »

« Ce sont de petits détails qui font que l’entraînement devient plus supportable d’un point de vue physique et nerveux », expliquait-il avant la compétition. Ce souci du détail, ce perfectionnisme, lui « gâchent la vie » comme il l’admet aujourd’hui, mais lui permettent d’aller toujours plus loin dans la souffrance. Et donc la performance.

« Le fait d’avoir été au fond pendant deux jours et de finir avec cette médaille, c’est un ascenseur émotionnel incroyable, décrit-il. J’étais face à un mur, et je l’ai cassé avec ma tête pendant tout le long, peu importent les os qui se pétaient dans mon crâne. C’était impossible pour moi de terminer ce décathlon, j’en reviens toujours pas. »

Pourtant, c’est bien avec le drapeau bleu-blanc-rouge autour du torse que Kevin Mayer a terminé la soirée. Il l’assure, sans son problème au dos, il pouvait claquer des perfs comme à la hauteur et au javelot dans toutes les épreuves. Mais aucun regret, et surtout pas celui d’avoir tardé avant de prendre des anti-inflammatoires. « Ils ont masqué la douleur, mais aussi ses sensations. Or, il fonctionne beaucoup à ça, note Alexandre Bonacorsi. On a vu d’ailleurs que toutes ses performances n’étaient pas au rendez-vous. »

« Le décathlon, c’est les tripes qu’on sort le jour-J, il faut savoir s’adapter », ajoute l’intéressé, fier de la manière dont il a réagi. La prochaine version du décathlonien, déjà champion du monde en 2017 et détenteur du record du monde, sera encore meilleure. « Je suis en train d’évoluer en tant qu’athlète pour aller chercher des choses très grandes, promet-il. Ça met du temps, mais putain le jour où ça va sortir… » On essayera d’être là.

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