De notre envoyé spécial à Tokyo,
Keisuke Miyata se balade dans le hall de l’immense centre de presse, deux grandes pancartes dans les mains. Ce journaliste de Nippon TV y a collé les photos de tous les athlètes locaux devenus champions olympiques jusqu’à présent, et pour les soins d’un sujet demande à des confrères étrangers qui passent par là lequel de ces titres a été selon eux le plus marquant.
« Une fierté immense »
On se prête au jeu. Après avoir choisi le frère et la sœur Abe au judo, parce qu’on était au Budokan ce jour-là et qu’on a bien ressenti l’émotion de tous les Japonais dans la salle, on lui demande à notre tour comment a été vécu ce sacre, plus largement dans le pays. « Ça a été ressenti comme une fierté immense, répond-il. C’était un jour particulier pour nous, qu’on attendait depuis longtemps. On n’a pas arrêté d’en parler à l’antenne pendant des heures. »
Forcément, impossible de passer à côté de cette jolie histoire, inédite aux Jeux olympiques, d’un frère et d’une sœur médaillés d’or le même jour, à quelques minutes d’intervalle. En plus dans le sport roi de la nation. Une réussite qui illustre bien cette première semaine du feu de dieu pour les sujets de l’Empereur Naruhito. L’or a coulé de partout, 17 titres glanés en huit jours, déjà largement plus que les 12 ramenés au total de Rio. Les médias nippons se régalent, et le montrent. Comme le mythique Yomiuri Shinbun, journal le plus vendu au monde du haut de ses 150 ans d’histoire, qui a trouvé de quoi décorer son local au centre de presse.
« Il faut saluer nos sportifs, parce qu’ils une pression vraiment très grande et des conditions difficiles, estime Keisuke Miyata. C’est très dur de gagner à la maison, et encore plus sur ces Jeux, car ils sont très spéciaux. Il y a une sorte d’obligation de résultat. » On se met à leur place. Eux qui s’imaginaient concourir devant des tribunes pleines à craquer acquises à leur cause, ils se retrouvent à batailler seuls dans des Jeux dont personne ne voulait. On a connu plus simple à gérer. Alors si en plus la nation se ridiculisait… Heureusement, les Japonais répondent présents. Partis comme des balles, ils ont été en tête du classement des médailles jusqu’à mercredi, avant que les Etats-Unis et surtout la Chine ne décident de se mettre en route.
Un peu gêné d’être passionné par les Jeux
Comme les athlètes, les journaux locaux sont parfois tiraillés entre les exploits sportifs et la situation sanitaire qui s’aggrave. L’Asahi Shimbun, par exemple, a préféré vendredi faire sa une sur le nombre record de nouvelles infections dans la capitale la veille (3.865), rappelant que le nombre de cas quotidiens dans tout le pays avait dépassé les 10.000 pour la première fois, plutôt que sur le judo. « C’est une période compliquée, inquiétante malgré tout », nous explique notre confrère.
Dans un article publié samedi, USA today rapportait l’histoire de Teiji Kuroki, un cameraman de 65 ans employé au Budokan, passionné par les Jeux mais qui n’ose pas le montrer à l’extérieur « à cause de l’atmosphère générale ». Ou celle de Mariko Tauchi, 35 ans, regardée un peu de travers dans l’agence de pub où elle travaille car elle a décidé de s’engager en tant que volontaire pour la durée du tournoi de judo.
Malgré cette ambiance pesante et l’annonce de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire à Tokyo, en fin de semaine, le Japon s’est tout de même découvert de nouveaux héros. Par exemple la petite skateboardeuse Momiji Nishiya, championne olympique à 13 ans, qui a partagé le podium avec Funa Nakayama, en bronze. « Je suis si contente de gagner ces Jeux ! A mon âge… ça va changer ma vie, a réagi l’adolescente. Le skate, c’est fun, c’est un monde intéressant. J’aimerais que les gens essaient ce sport. »
Chez les hommes, la discipline a vu l’avènement d’une « légende », comme nous le disait le Français Vincent Millou lors de l’épreuve de street. Après avoir fait la couv’du magazine spécialisé Thrasher, Yuto Horigome est devenu le premier champion olympique de l’histoire de ce sport, à quelques pas seulement du quartier où il est né. « Le skate n’est pas bien reconnu au Japon, mais je veux que nos habitants sachent à quel point c’est génial », a plaidé le vainqueur, heureux de faire parler un peu d’autre chose que de judo.
La razzia du judo
Car c’est évidemment là que la patrie a le plus vibré. Malgré une défaite pas loin d’être vécue comme une humiliation en finale de la compet’ par équipe mixte contre la France pour conclure, les Japonais ont mis un point d’honneur à ne laisser que des miettes à leurs adversaires. Cinq médailles d’or chez les garçons, quatre chez les femmes (sur sept mises en jeu), pour un total record dans l’histoire des Jeux. Question d’honneur.
« Une belle réussite que l’on dédie à notre pays, a fait savoir l’entraîneur en chef Kosei Inoue, véritable légende vivante ici. Je ne peux pas être plus heureux. Il faut remercier les athlètes, mais aussi tous ceux qui nous ont soutenus, sans qui l’équipe n’aurait pas pu avoir ces résultats merveilleux. »
Victoires à l’escrime et contre les Chinois au ping
Les Japonais peuvent également se féliciter d’avoir réussi à explorer de nouveaux territoires pendant ces Jeux, en remportant un titre complètement improbable à l’épée par équipe – en sortant les triples champions olympiques français au passage – et en battant (enfin !) les Chinois au ping (en double mixte). Keisuke Miyata s’agite à l’évocation de ce match. « C’est fou, dit-il en souriant. Normalement, ça n’arrive jamais. »
En quittant le stade olympique, dimanche après la session d’athlé, on a vu des dizaines et des dizaines de personnes derrière les grilles, qui n’auraient demandé qu’à rentrer s’ils en avaient eu le droit. A défaut, certains faisaient la queue pour pouvoir se prendre en photo devant les anneaux olympiques. Le Japon est méfiant, mais n’est pas totalement non plus allergique aux Jeux. En tout cas, ses athlètes font un boulot admirable pour que tout le monde en garde le meilleur souvenir possible.
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