Après deux décennies de politique française de gestion du supportérisme uniquement basée sur le tout répressif, et bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour apaiser totalement les relations entre les ultras et les instances politiques et sportives, les différents acteurs semblaient avoir fait du chemin ces dernières saisons pour normaliser leurs relations. Entre-temps, la pandémie et les insupportables huis clos étaient venus renforcer l’idée que le football n’est rien sans des stades pleins et festifs.
Malheureusement, les événements de dimanche à Nice laissent craindre un nouveau tour de vis pour l’ensemble des supporters français cette saison. Pour savoir si l’on a vraiment fait un pas en avant pour deux pas en arrière, 20 Minutes s’est entretenu avec Nicolas Hourcade, sociologue à l’Ecole centrale de Lyon et membre de l’instance nationale du supportérisme.
Les événements de Nice peuvent-ils ruiner tout ce qui a été fait ces dernières années sur la question de la gestion des supporters ?
Tout ruiner, non, je ne le pense pas. On est dans un contexte, au niveau de la gestion des supporters, qui a fortement évolué depuis quatre, cinq ans maintenant, avec une ouverture du dialogue entre les autorités publiques, notamment le ministère de l’Intérieur, les autorités sportives, notamment la Ligue, et les associations de supporters représentées par l’ANS (Association Nationale des Supporters), qui rassemble de nombreux groupes ultras.
Or, à mon sens, ce dialogue est suffisamment stable et pérenne, et les objectifs sont suffisamment partagés (à savoir : permettre au public des stades d’être fervent et festif tout en limitant au maximum les incidents), pour que les événements de Nice ne remettent pas en cause ce processus. En revanche, par rapport à l’opinion publique de manière plus générale, ou par rapport à certains préfets de région, c’est sûr que ça donne une image désastreuse des supporters et de l’ensemble du football plus largement.
On donne des prétextes pour poursuivre dans le tout répressif…
Avant le confinement, le ministère de l’Intérieur avait diffusé une circulaire auprès des préfets en leur rappelant que les interdictions de déplacements devaient être exceptionnelles et réservées aux matchs pour lesquels la sécurité était vraiment difficile à assurer. Thibaut Delaunay, le responsable de la DNLH (Division nationale de lutte contre le hooliganisme), l’a également rappelé en début de saison, ce qui montre bien que ça reste la doctrine de base en vigueur en France actuellement.
Mais effectivement, dans certains cas où les tensions entre supporters sont trop fortes, ça peut conduire à des interdictions de déplacements parce qu’elles paraîtront proportionnées. Pour ce qui est des supporters, l’enjeu est toujours le même : c’est la balance entre les droits et les devoirs. Les groupes de supporters revendiquent leurs droits à être traités comme les autres citoyens, à pouvoir se déplacer librement sur le territoire, etc., mais ça implique un certain nombre de devoirs, notamment celui de limiter au maximum les incidents. Or, il est clair que si les incidents se multiplient, ça risque d’avoir mécaniquement pour effet d’augmenter les mesures de restriction.
La France est-elle à un tournant dans la gestion des supporters ? https://t.co/ebOxISYbI9
— 20 Minutes (@20Minutes) November 22, 2019
L’enjeu est toujours facile à énoncer mais c’est plus compliqué à réaliser : assurer à la fois l’ambiance festive avec les supporters des deux camps présents au stade tout en assurant la sécurité. Ça suppose de responsabiliser tout le monde : en premier lieu les associations de supporters, mais aussi tous les autres acteurs de la sécurité des matchs de football. Parce que le match de Nice a mis en lumière plusieurs problèmes : Le premier c’est que la sécurité n’était pas au niveau. Ce n’est pas normal qu’autant de projectiles puissent être jetés sur les joueurs. Ce n’est pas normal qu’un envahissement de terrain puisse être aussi simple à réaliser. Au-delà des supporters, c’est l’ensemble du football français qui a montré une piètre image, et c’est l’ensemble de ce monde-là qui doit s’interroger sur les suites à donner à cette affaire.
Quelles sont justement les suites à donner à tout cela ?
Il faut dans un premier temps que les fauteurs de troubles soient identifiés et sanctionnés. Ça concerne donc les supporters qui ont lancé des projectiles et commis des violences, mais aussi les joueurs ou membres de staffs qui ont eu des comportements totalement inacceptables. Il faut qu’il y ait une remise en cause globale des comportements auxquels on a assisté dimanche. On ne peut pas continuer dans cette voie, avec des supporters qui débordent et des joueurs et des dirigeants qui soufflent sur les braises comme ça a été le cas à Nice. Au-delà de ça, la question qui se pose c’est « comment on associe tous les acteurs dans la préparation d’un match de football ? ».
A Nice, par exemple, la Populaire Sud a décidé depuis un certain temps de descendre au premier anneau du virage (c’est un changement radical puisque ça les place très proche du terrain) et on voit bien que ça n’a pas été suffisamment réfléchi et discuté entre le club, l’exploitant du stade, les supporters et les forces de sécurité privées. Il n’y a pas eu une adaptation suffisante pour que cela se fasse dans les meilleures conditions de sécurité. Il faut que toutes les parties se comportent de manière professionnelle et puissent échanger de manière constructive afin de trouver les meilleurs dispositifs possibles. A partir du moment où les ultras les plus chauds sont au pied de la tribune, ça implique d’adapter le dispositif puisque, de fait, le contexte n’est plus le même que quand ils sont au deuxième niveau de la tribune.
Est-il temps aussi de se questionner sur la pertinence des sanctions collectives, comme ça va être le cas à Nice après l’annonce du préfet d’appliquer un huis clos à toute la Populaire Sud pour les quatre prochains matchs à domicile ?
Ce qu’il faut faire avant toute chose, c’est de bien établir les faits. Depuis dimanche, on ne cesse de se demander quelles sanctions infliger et à qui. Or, avant d’établir les sanctions, il est crucial d’établir l’ensemble des faits et d’identifier les responsables. Ensuite, il y a des sanctions individuelles qui doivent absolument être prises. Si on veut vraiment dissuader les gens de lancer des bouteilles sur la pelouse, d’envahir le terrain ou de donner un coup de poing à un joueur ou à un supporter, il faut que ces personnes-là soient sanctionnées à la mesure de l’acte commis. Il est crucial, et la préfecture s’est engagée en ce sens, d’identifier les auteurs de jets de projectiles ou de faits de violence pour qu’ils soient sanctionnés.
Quid de la question du huis clos total ou partiel ?
Je pense que, dans ce cas précis, cette sanction peut faire sens puisque la responsabilité de l’organisateur est engagée. On voit clairement, et le club l’a reconnu lui-même, qu’il y a eu des défaillances dans l’organisation de ce match, donc qu’il y ait une sanction de ce style me semble incontournable. Ce n’est pas absolument pas comparable en revanche avec d’autres huis clos partiels qui ont été prononcés à cause des fumigènes, alors que les clubs ne peuvent pas complètement les maîtriser. Là il y a eu des incidents de grande ampleur, des jets répétés de projectiles, un début d’envahissement de terrain, des bagarres.
Donc que le club soit sanctionné par une fermeture totale d’une tribune sur les prochains matchs ne me paraît pas incohérent. En revanche, il faut se demander si cette mesure doit être prise par la commission de discipline de la LFP ou par la préfecture.
Quand Pablo Longoria dit avoir refusé de faire revenir son équipe sur le terrain afin de « faire un précédent », qu’entend-il par là ?
Le problème que pose Pablo Longoria est plus profond. C’est « qu’est-ce qu’on fait du résultat du match ? ». L’enjeu est réel. Faut-il considérer, puisque les Marseillais ne sont pas revenus sur la pelouse, qu’ils ont match perdu ? Ou est-ce qu’on considère que, puisque leur sécurité était engagée, ils étaient dans leur droit le plus strict et donc on oublie la défaite sur tapis vert ? Est-ce qu’il faut leur donner match gagné, alors qu’on a vu que certains membres de l’OM étaient impliqués dans les incidents ? Est-ce qu’il faut faire rejouer le match ? A mon sens l’enjeu principal pour le monde du foot il est là. C’est ça qui va faire précédent et c’est ça dont parle Longoria. Rejouer le match à huis clos me paraît être la solution la plus pertinente, mais je n’ai pas tous les éléments du dossier.
Ne serait-il pas temps de prendre le problème des jets de projectiles à bras-le-corps et de mettre en place un protocole clair qui permette à l’arbitre de prendre les bonnes décisions sans attendre que ça dégénère, comme ça a été le cas dimanche soir ?
Le jet de projectiles est un problème qui n’est pas né de ce match, c’est un problème récurrent qui existe depuis longtemps dans les stades. Effectivement, c’est peut-être le bon moment pour se saisir de ce sujet. L’Equipe proposait hier [lundi] de bannir les bouteilles en plastique des tribunes pour ne servir que des « ecocups » aux supporters : ça peut être une bonne idée. On peut aussi remettre des filets de protection dans certaines tribunes. Mais on peut aussi imaginer une procédure très claire qui permette à l’arbitre de dire qu’en cas de jets répétés de projectiles, le match est définitivement arrêté, avec des menaces de sanctions contre le club comme moyen de dissuasion. Je pense qu’il faut une responsabilisation de l’ensemble du public sur cette question-là car, de fait, les jets de projectiles viennent de toutes les tribunes et pas seulement des virages. Le match Montpellier-Marseille [Rongier a reçu un projectile en plein visage alors qu’il s’échauffait le long de la ligne de touche] a bien montré que ce n’était pas corrélé à la seule présence des ultras puisque les groupes de supporters de Montpellier avaient boycotté ce match. Ça appelle donc à une sensibilisation de l’ensemble des publics des stades.
Roxana Maracineanu : « Encore heureux, on s’en prend aux joueurs, c’est normal qu’on réagisse. On va faire quoi ? On laisse les gens s’en prendre aux joueurs, ce n’est pas possible. C’est à la sécurité, au club qui reçoit, aux supporters, et aux dirigeants d’être responsables. »
— BeFoot (@_BeFoot) August 23, 2021
Un mot enfin sur les propos de Roxana Maracineanu, qui a déclaré lundi « encore heureux qu’ils [les joueurs] se soient défendus ». Comment faut-il comprendre cela ? C’est étrange d’entendre ça de la bouche d’une ministre d’État…
Je pense que la parole est maladroite mais qu’elle était en partie liée à une connaissance imparfaite des incidents au moment où ces propos ont été tenus. Il faut distinguer la réaction de Dimitri Payet qui reçoit une bouteille sur la nuque et qui, sous l’effet du choc et parce que ce n’est pas la première fois de la soirée qu’on lui lance des projectiles, réagit mal, avant de se calmer. C’est une réaction humainement compréhensible, même s’il n’aurait pas dû l’avoir. En revanche, il y a eu d’autres comportements, notamment celui du préparateur physique de l’OM [qui a asséné un violent coup de poing à un supporter niçois], qui sont totalement injustifiables, gravissimes, et qui ont contribué à jeter de l’huile sur le feu.
Je pense que la ministre se bornait à réagir à ce qui était arrivé à Payet et non au reste des comportements de certains joueurs et membres du staff qui sont évidemment condamnables.
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