Entre sa curiosité naturelle et son attachement aux gens qui lui ont permis de grandir et se réaliser, Romain Bardet a longtemps été tiraillé. Mais l’été dernier, il a fini par trancher. A 29 ans (30 depuis novembre), le coureur français s’est décidé à quitter AG2R La Mondiale, son équipe de toujours, pour tenter l’aventure à l’étranger. Direction l’Allemagne, et la Sunweb, devenue à l’intersaison la DSM. « J’arrivais en fin de contrat, tous les critères étaient réunis pour que cette envie se concrétise en 2021, justifiait-il au moment de l’annonce. C’est une décision mûrie au fil des années. »
Un hiver intense
C’est donc sous ces nouvelles couleurs qu’il va – enfin – découvrir le Tour d’Italie, dont le départ est donné samedi à Turin. Dans un rôle de seconde lame auquel il aspirait profondément, à la fois intéressé par le classement général et les victoires d’étapes selon les circonstances de course, Bardet va avoir un premier aperçu de ce que peut lui apporter cette nouvelle vie. Car c’est bien de cela dont il s’agit.
L’Auvergnat, qui passe désormais bien plus de temps loin de la maison familial, a changé d’entraîneurs, de méthodes de travail, d’alimentation, de matériel. « De quasiment tout, en fait », résumait-il pour L’Equipe en janvier. Il a passé l’hiver « le plus intense » de sa carrière à discuter en visio avec les experts techniques de la formation allemande, pour définir tous les axes qu’ils allaient développer ensemble.
Une équipe à la pointe
Il a notamment été beaucoup question de ses vélos de route et de contre-la-montre, ainsi que de sa position sur ses machines. Essais et études avec des logiciels dernière génération à l’appui. La DSM ne laisse rien au hasard sur ces aspects. « C’est très différent de ce que je connaissais jusqu’alors, remarquait-il au cœur de l’hiver. Toutes les formations vont dire qu’elles sont à la pointe dans certains domaines, mais ici, c’est exacerbé. Tu sens que tu fais partie d’une grande équipe. »
Il ne faut y voir aucune méchanceté vis-à-vis de son ancien employeur. Simplement la satisfaction de trouver ce qu’il était venu chercher. « J’étais entré dans une routine qui ne m’allait plus. J’avais besoin de me mettre en danger, de repartir sur de nouvelles bases et de me prendre un gros coup de boost », éclaire-t-il.
Ses ex-coéquipiers ne lui en veulent pas. Après toutes ces années, ils le connaissent sur le bout des doigts et comprennent ce qui l’habite. « C’est un choix cohérent, estime son grand complice Mikaël Cherel, qui est toujours en contact avec lui. Il a toujours été avide de nouvelles techniques, de nouvelles approches. C’est un coureur qui cherche perpétuellement à s’accomplir et à relever de nouveaux défis, et surtout à aller au bout des choses. Il aurait été frustré de finir sa carrière chez AG2R sans avoir connu ce qui se passe à côté. »
Ce besoin d’autre chose était dans l’air depuis quelque temps. Deuxième du Tour de France en 2016, troisième l’année suivante, il semblait ces deux-trois dernières saisons engoncé dans ce rôle obsessionnel de leader sur la Grande Boucle dont il ne voulait plus vraiment. Ou plutôt, qui lui imposait trop de contraintes, avec des saisons qui se ressemblaient toutes et une absence de liberté pesante.
« Il a pu perdre ce côté instinctif, porté sur l’attaque »
Le retrouver au départ de ce Giro, dans un rôle important tout en laissant la lumière à Jai Hindley, surprenant deuxième de la dernière édition en octobre, va dans ce sens. « Romain est un coureur d’instinct. Il a passé beaucoup de temps à calculer, à compter les secondes, dans sa carrière. Et il a pu perdre ce côté instinctif, porté sur l’attaque, explique son ancien équipier. S’il est bien numéro 2, il sera déchargé d’une certaine pression et il pourra retrouver ce côté-là. J’espère qu’il va s’éclater. »
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Cherel, actuellement en rééducation après une lourde chute subie fin novembre à l’entraînement qui lui a laissé une épaule en vrac, est bien placé pour en parler. Tous ceux qui suivent le vélo se souviennent du numéro des deux loustics dans la descente de la Côte de Domancy, lors de la 19e étape du Tour 2016. Sur une route détrempée, alors que les cadors serraient les fesses pour ne pas se retrouver par terre, le Manchot était parti tête baissée, son leader dans la roue, pour lui permettre finalement d’aller cueillir l’étape et la deuxième place du général. L’exemple parfait de ce que cherche Bardet, mais qu’il n’a jamais pu reproduire.
« Le Giro une course spectaculaire, beaucoup moins bridée de ce qu’est le Tour. Les grosses armadas sont un peu moins organisées, ça laisse plus de place aux aléas, aux rebondissements, à l’instinct », reprend Cherel, qui se demande toutefois si le changement de préparation de Bardet, qui n’a que très peu couru en ce début de saison (Tirreno et le Tour des Alpes, essentiellement), va s’avérer payant.
L’intéressé aussi. C’est d’ailleurs ce qui fait tout le sel de cette nouvelle aventure. « Je me redécouvre en tant que coureur, disait-il au site Mon Peloton courant avril. J’ai posé les bases. Maintenant, on va voir ce que ça va donner en mai. » Le grand curieux qu’il est a hâte, et nous aussi.