Lison Daniel a plus de 240K followers mais ne la cherchez pas sur Instagram. Elle reconnaît avoir « délaissé » compte personnel depuis bien longtemps. En revanche, vous pourrez croiser la jeune comédienne et scénariste sous les traits du psychiatre sexagénaire Ivan, ou de la marketeuse parisienne Rebecca, grâce à la magie des filtres du réseau social (ou plutôt de leur détournement). Car oui, Lison Daniel ne porte pas vraiment Instagram et ses selfies retouchés dans son cœur, mais son compte Insta @Les_Caractères créé en 2017 avec sa cousine a explosé pendant le confinement. Et la justesse et la drôlerie de sa galerie de personnages lui ont permis d’intégrer aujourd’hui l’équipe de scénaristes de la future série de Fanny Herrero ( la célèbre créatrice de Dix pour cent) pour Netflix et de multiplier les petits rôles et projets, entourée de sa bande de copines humoristes Agnès Hurstel, Marina Rollman ou Marie Papillon. Elle revient pour 20 Minutes sur son parcours, l’humour et la solidarité entre comédiennes.
Dans vos dernières vidéos, la bourgeoise Isabelle boit à en décoiffer son brushing, la salariée modèle Séverine est au bord du vomissement, Franck le caviste envoie bouler un client… L’humeur était-elle au craquage en cette fin de confinement ?
Non je n’y avais pas pensé. C’est vrai qu’ils ont tous vécu des moments pas simples et qu’ils craquent tous (même si Séverine, elle, continue à contenir (rire)…), mais ce n’était pas mon état d’esprit. J’ai l’impression que la vie reprend à peu près normalement, donc je profite de ces nouveaux moments. J’ai l’impression que lorsqu’on a été privé pendant longtemps d’un tout petit peu de liberté, ça fait du bien !
Rire et faire rire a une importance particulière dans votre vie personnelle et votre écriture ou « Les caractères » restent-ils un exercice de style ?
L’humour a toujours été ma façon de gérer les choses, de dédramatiser, de décomplexifier la vie. C’est une manière de prendre du recul et de ne pas trop se regarder le nombril. Les gens autour de moi qui ont de l’humour, je trouve qu’ils sont généreux parce qu’ils se mettent un tout petit peu de côté. Et chez moi – dans ma famille, dans mon couple, avec mes amis – ça a toujours été important. Les gens qui m’entourent ce sont des gens avec qui je ris en général. C’est un peu un critère de sélection.
Ce déconfinement pourrait-il vous inspirer de nouveaux personnages ?
Peut-être, mais j’ai du mal à envisager « Les Caractères » sur le long cours, encore longtemps. Comme ça fait déjà quatre ans que je le fais, je commence à en voir un peu le bout. Petit à petit, le travail est arrivé grâce aux Caractères (donc je sais ce que je leur dois) mais il commence à prendre le pas sur ces vidéos. J’ai du mal à dégager du temps pour y réfléchir et réécrire. Il y a beau y avoir beaucoup de gens qui aiment (et je suis hyperheureuse pour ça), ça reste quelque chose que je fais pour le plaisir. Et je ne suis pas rémunérée pour faire ça…
Vous avez expliqué que lancer « Les Caractères » était une façon en tant que scénariste et comédienne débutante de ne pas attendre qu’on vous donne des rôles à jouer ou à écrire, que c’était un peu votre CV en ligne. Ça a marché ?
A partir du moment où ma cousine Laura n’a plus eu le courage de le faire régulièrement et que j’ai décidé de reprendre le compte, ça a été une vraie discipline de les écrire, de les jouer, de les monter, de les poster. Même si les vidéos ne durent qu’une minute, ça reste quelque chose de structurant. Quand on est une comédienne qui ne marche pas, on a une vie un peu déstructurée : on n’a aucune raison de se lever le matin, personne ne nous attend nulle part, on fait du travail alimentaire, donc il faut se discipliner. Et c’est compliqué quand on cherche du travail de dire qu’on est comédienne mais qu’on n’a pas tourné ou scénariste mais qu’on n’a pas écrit. Donc ça m’a permis de parler un peu de mes vidéos.
Ce succès m’a aussi permis de prendre un petit peu confiance en moi, me dire que j’étais capable de créer des choses qui font rire, parce que pendant longtemps, ça ne faisait même pas rire 2.000 personnes ! Avant même le confinement, j’avais déjà 20.000 personnes qui me suivaient et c’était déjà des gens du métier, des réalisateurs, des producteurs. C’est comme ça par exemple que j’ai rencontré Fanny Herrero [la créatrice et showrunneuse de Dix pour cent], même si en raison de la crise sanitaire, je n’ai commencé véritablement à travailler sur son projet de série autour du stand-up [Drôle pour Netflix] qu’après le confinement. Mais la reconnaissance des « Caractères » – qui a été hyperjoyeuse et agréable dans cette période un peu naze – a rendu ce monde un peu fermé soudainement très accueillant et c’est vrai que c’est sympa !
Vous travaillez aussi en tant que comédienne ?
Oui, c’est le moment où il faut un peu choisir ses rôles. On me propose pas mal de comédies, mais je suis plus sensible au cinéma d’auteur, donc j’accepte des tout petits rôles dans des petites choses. Les rôles importants arriveront plus tard. Il faut savoir être patient et prendre le temps de choisir des choses qui nous ressemblent.
Comment se passe le travail d’écriture dans une équipe de scénaristes ? Ce n’est pas frustrant quand on a pris l’habitude de mener tout de front de l’écriture au montage ?
C’est très différent mais j’ai surtout eu la sensation d’être très chanceuse. Ce que je faisais dans ma chambre n’était pas vraiment scénarisé : c’est plutôt une petite scène dialoguée mais sans grand mouvement d’arches sur plusieurs mois ou années. Là j’arrivais dans la cour des grands. Et comme j’étais la seule junior, j’étais vraiment le padawan de Fanny [Herrero] et des autres scénaristes qui travaillent tous beaucoup, depuis longtemps et ont beaucoup de talent. J’avais l’impression d’arriver dans une master classe hyper sympa et bienveillante.
Le stand-up vous tenterait, vous qui venez du théâtre ? Ou envisagez-vous l’adaptation de vos « Caractères » sur scène ?
Les personnages, c’est assez différent du stand-up. Le stand-up, c’est venir avec son propre personnage et parler de soi, de son avis sur le monde et ce n’est pas du tout quelque chose avec lequel je serais à l’aise. Il faut être très confiant pour faire ça et moi je ne saurais même pas quoi dire. Les personnages, c’est du seul en scène. Pourquoi pas. Plusieurs théâtres sont prêts à me programmer en janvier, mais pour moi c’est trop tôt. Mais j’en ai envie et je suis sûre que ça viendra.
Beaucoup de femmes artistes issues d’Insta ou de la radio, émergent notamment dans un registre humoristique, est-ce que qu’il y a une entraide entre vous ?
Totalement, Marina Rollman, Laura Felpin, Anaïde Rozam, Agnès Hurstel, Marie Papillon c’est plus que du soutien, on est devenues copines. Agnès m’a fait tourner dans la série qu’elle a créée. On envisage des choses ensemble. On se rend compte qu’on est toutes très différentes et qu’on ne fera jamais la même chose. Donc si nous ne nous laissons pas la place les unes, les autres, ce sera encore plus compliqué. Et la place sera toujours occupée par les mêmes hommes et ce sera dommage. Donc il faut s’autoriser à faire des choses ensemble si on en a envie, sans ces espèces de croyances un peu bêtes qu’on serait toutes en concurrence et qu’il n’y aurait pas de place pour tout le monde.
La période est-elle plus favorable pour les jeunes femmes comédiennes et scénaristes pour percer ou des difficultés persistent ?
Je suis dans un tout petit microcosme assez doux car je travaille avec Fanny Herrero qui est quand même la scénariste qui a montré que les femmes peuvent gérer ce boulot de showrunneuse. Mais il y a quand même ce truc persistant d’imaginer que les femmes sont sans arrêt en compétition. Dès que deux femmes font de l’humour ou du scénario on les compare alors qu’on ne se mettrait jamais à dire que deux humoristes masculins font la même chose ou se copient (ou alors c’est Copy Comic et c’est complètement autre chose). C’est très étonnant. Je lisais encore hier sous une chronique de Fanny Ruwet : « Fanny, Marina, Agnès, toutes les mêmes sur France Inter ! » Mais il n’y a pas plus différentes que ces trois filles, elles n’abordent jamais les mêmes sujets, jamais les mêmes thématiques, elles n’ont même pas la même façon de parler, elles ne sont pas du même pays, elles ne se ressemblent même pas physiquement. Leur seul point commun c’est que ce sont des femmes qui prennent la parole sur France Inter. Moi on m’envoie tous les jours des vidéos de filles qui font des vidéos sur Instagram, parfois des personnages, en me disant qu’elles me copient. Il est très intéressant de voir ce mécanisme-là. Je n’en souffre pas mais je trouve ça absurde.
Dans une interview à France Culture vous aviez des mots durs pour les selfies, les filtres que vous détournez dans les « Caractères » au service de votre créativité : vous pensez qu’ils sont dangereux ?
J’ai utilisé ces filtres parce qu’ils me donnaient une grande liberté : ça me permettait de faire des vieux messieurs et des femmes plus âgées, de sortir de ce que j’étais et en plus ça m’évitait de me montrer complètement moi. Mais je sens bien le danger. J’évite un peu les filtres de beauté, à part pour Rebecca (une Parisienne un peu pimbêche) qui intervenait d’ailleurs seulement quand il n’y avait pas de filtres rigolos disponibles sur Instagram. Et il y a de moins en moins de filtres amusants. Je suis obligée de les faire redessiner parce qu’ils disparaissent : les filtres amusants, les gens s’en amusent deux secondes mais en réalité ils veulent être plus beaux que dans la vraie vie.
Quelle utilisatrice d’Instagram êtes-vous ?
J’avais un compte perso que je n’alimentais quasiment pas et que j’ai complètement délaissé et mon compte des « Caractères » ne me sert qu’à poster les Caractères. Les seules choses que je partage en story c’est soit mon travail, soit le travail de mes amis, soit des choses qui m’ont plu. C’est très difficile de ne pas tomber dans le piège du partenariat commercial. Quand on a pas mal d’abonnés, comme j’ai la chance d’en avoir, on a tous les jours des propositions de plein de marques pour travailler avec elles et gagner de l’argent vraiment très facilement. C’est difficile de renoncer à ça quand on écrit des scénarios sur six mois pour 2.000 euros ! Mais j’essaye de ne pas le faire parce que je pense que ce n’est pas le lieu.
Instagram, je leur dois beaucoup mais en même temps ils sont durs. C’est une drôle de plateforme : quand vous ne postez pas assez, on vous invisibilise, donc ça implique de devoir être bavard et être trop présent et ce n’est pas ce que je veux. Donc je sens bien que le système est en train de s’épuiser, avec moi ça ne marche pas. Si je refuse tous les partenariats, je ne gagne pas d’argent et si je refuse d’être bavarde pour être visible, je vais mourir de ma petite mort. En plus, peut-être que les gens vont en avoir marre des Caractères. Donc je suis joyeusement pessimiste car je pense qu’il m’arrivera d’autres choses chouettes à terme !
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