Suspiria : en quoi le remake de Luca Guadagnino se démarque-t-il du film de Dario Argento ?

Longtemps considéré comme intouchable, “Suspiria” de Dario Argento a droit à son remake par le réalisateur de “Call Me By Your Name”. Le résultat, désarçonnant, est visible dans les salles depuis mercredi.

Longtemps annoncé et redouté -David Gordon Green a été attaché au projet dès 2015, avant finalement de se tourner vers Halloween, autre monument horrifique-, le remake de Suspiria débarque en salles cette semaine. Aux commandes, Luca Guadagnino, réalisateur estampillé “cinéma d’auteur” et dont seules les origines italiennes semblent le rattacher au film de Dario Argento. Pourtant, Guadagnino voue un amour sans bornes à Suspiria, qui l’a fasciné dès l’âge de 10 ans lors de la découverte de son affiche dans la devanture d’un vieux cinéma désaffecté. La vision du film, trois ans plus tard, n’en est que plus forte : “Je tenais des carnets dans lesquels j’écrivais des choses comme ‘Suspiria de Luca Guadagnino’. Influencé par le film de Dario, je réfléchissais déjà à la façon de faire un Suspiria qui me ressemble.” Il faudra finalement à lui et au producteur italien Marco Morabito plus de dix ans pour concrétiser leur vision, dont un an pour acquérir les droits de remake.

Si l’histoire est la même dans les grandes lignes (une jeune femme américaine débarque dans une école de danse allemande et ne tarde pas à découvrir que cette dernière est dirigée par des sorcières), le Suspiria de Guadagnino a si peu de choses en commun avec celui d’Argento qu’on se demande si le terme de “remake” est pertinent.

Une fable politique

Guadagnino prend ses distances dès le cadre de son récit. Aussi son Suspiria se situe-t-il en 1977, année de sortie de l’original, non plus dans la petite ville de Fribourg mais à Berlin, alors divisée par la Guerre Froide et meurtrie par les attentats de la bande à Baader, organisation terroriste d’extrême gauche.

Selon le scénariste David Kajganich, qui avait signé A Bigger Splash, relecture contemporaine de La Piscine de Jacques Deray, il s’agissait d'”inscrire la compagnie de danse dans un contexte précis et évoquer un exemple récent de la façon dont une société pouvait être encore victime du fascisme. À l’époque, la jeunesse allemande commençait à manifester sa rancoeur face à ses aînés, leur reprochant les actes perpétrés en Europe pendant la guerre, dont les générations plus âgées n’avaient pas encore mesuré la portée et encore moins assumé la responsabilité”. On est bien loin de l’univers clos et atemporel de l’original qui fonctionnait comme un conte. Guadagnino met en parallèle les luttes de pouvoir entre les sorcières et les conflits qui déchirent l’Allemagne, allant même jusqu’à convoquer les fantômes du IIIème Reich. 

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L’ombre de Fassbinder

Oubliez les couleurs flamboyantes dignes du Technicolor de l’original ou encore le décor ensoleillé de Call Me By Your Name. Avec son directeur de la photographie Sayombhu Mukdeeprom, fidèle collaborateur de l’Indonésien Apichatpong Weerasethakul, Guadagnino s’est inspiré des films de Rainer Werner Fassbinder pour mettre au point une palette chromatique faite de gris et de brun. Les fans de ce dernier n’auront pas manquer de reconnaître sous les traits de la sorcière et institutrice Miss Vendegast Ingrid Caven, ex-femme et égérie du réalisateur allemand. Quant à l’architecture rococo et baroque, elle est remplacée par des lignes rigoureuses et modernes d’inspiration Bauhaus. Si l’esthétique expressionniste permettait à l’original de basculer dans l’abstraction et l’onirisme, la grisaille de ce Suspiria 2018 instaure à l’inverse un climat sordide et réaliste, ne rendant l’horreur que plus palpable.

Derrière l’iris bleue

L’une des particularités de cette relecture est de lever le voile sur les sorcières, là où elles étaient nimbées de mystère chez Argento. On suit ainsi cette assemblée de femmes (dont Renée Soutendijk, vue chez Paul Verhoeven période néerlandaise) dans les coulisses, derrière les portes qui restaient closes chez Argento. Tilda Swinton se paie non pas un mais trois rôles, dont celui du seul personnage masculin majeur, le Dr. Josef Klemperer. À croire que les hommes n’ont vraiment pas leur place dans cet univers.

À la place de Jessica Harper (qui a toutefois droit à un caméo), Dakota Johnson incarne une Susie moins innocente à la beauté froide. En effet, le film de Dario Argento était à l’origine conçu pour être joué par des petites filles. Connue du grand public pour la saga Cinquante Nuances…, la fille de Mélanie Griffith et Don Johnson n’est pourtant jamais sexualisée par la caméra bien qu’elle dégage une certaine animalité au fur et à mesure du récit.

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Goblin vs Radiohead

Thom Yorke, leader de Radiohead, a la lourde tâche de succéder au groupe de rock progressif Goblin, dont la bande-originale faite d’une mélodie de berceuse détraquée, de clavecins, de synthés et de râles, est un personnage à part entière de l’original. Le musicien britannique n’avait jamais signé de bande originale jusque-là, contrairement à son acolyte Jonny Greenwood qui collabore régulièrement avec Paul Thomas Anderson. Encore une fois aux antipodes de l’original, cette B.O. se veut plus mélancolique, comme en témoigne le beau thème au piano Suspirium.

Danse macabre

Exit le ballet et la danse classique de l’école de Fribourg -que l’on voyait finalement très peu-, les actrices de ce Suspiria exercent une danse contemporaine nourrie aussi bien du classique, du lyrique ou du jazz, que de la danse expressionniste allemande. Le chorégraphe franco-belge Damien Jalet a tenu à rendre hommage à des figures emblématiques de la danse comme Mary Wigman et Pina Bausch. Il met au point des chorégraphies impressionnantes qui sont l’un des points forts de cette nouvelle mouture. Nul doute que la scène où Olga danse malgré elle telle une poupée désarticulée ne manquera pas de marquer les esprits et de faire se crisper quelques spectateurs.

Et l’horreur dans tout ça ?

Guadagnino mise avant tout sur l’ambiance sordide et sur une violence latente là où le film d’Argento s’ouvrait sur une extravagante séquence de meurtre. Malgré quelques saillies horrifiques efficaces, Suspiria 2018 est plutôt avare en effets gores durant une bonne partie de son déroulement jusqu’à un sabbat final qui se transforme en bain de sang où se côtoient le sublime et le bis, voire le Z, la faute à de regrettables effets numériques qui font basculer le métrage dans le grotesque. Un passage hallucinant qui divisera à coup sûr le public mais dont on peut saluer l’audace.

Certainement conscient qu’il serait inutile de singer son modèle, Luca Guadagnino livre une relecture qui prend le contre-pied total de ce que nous proposait le film d’Argento et décide de développer toutes les pistes qui n’y étaient qu’effleurées. En résulte un Suspiria 2018 qui dépasse d’une heure son modèle et qui se perd parfois dans son propos, au risque de paraître nébuleux. Malgré ces réserves, on peut se réjouir de la liberté artistique dont a bénéficié ce remake qui échappe aux étiquettes et dont la démarche radicale n’est pas sans rappeler Mother! de Darren Aronofsky.

La bande-annonce du classique de Dario Argento :

Suspiria Bande-annonce VO

 

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