#AlertePollutionRivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?
Cliquez ici pour nous alerter !Au loin, la silhouette du Mont-Saint-Michel se découpe dans le ciel. De Cancale (Ille-et-Vilaine) à cet îlot rocheux (Manche), le paysage du littoral est majestueux. Cette baie, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est l’un des lieux de promenade préférés de Jacques Taillefer, avec les rives de la Rance. “J’y passe le plus clair de mon temps parce qu’il y a urgence”, explique ce retraité de 65 ans à franceinfo. L’urgence, ce sont les déchets plastiques liés aux activités conchylicoles qui s’amoncellent un peu partout. Un constat partagé par les associations environnementales locales qui tentent de contenir cette invasion de plastique.“Ce sont des macro-déchets au début, puis, au fil du temps, ils se fragmentent”, nous a alerté l’ancien infirmier, en répondant à notre appel #AlertePollution. Au téléphone, Jacques Taillefer est justement en plein ramassage. “J’en ai plein les sacs, souffle-t-il. C’est une pollution permanente. En deux heures, vous pouvez retrouver des dizaines de dispositifs anti-crabes et de poches à huîtres. Ce sont ceux qui vivent de la mer qui la souillent…” Des tonnes d’huitres, de moules… et de plastiqueCe morceau de littoral, à cheval entre la Bretagne et la Normandie, n’est pas seulement un lieu de balade pour touristes. C’est aussi le cœur de l’activité conchylicole française et européenne. Leurs vedettes sont bien connues : les moules, accrochées à quelque 318 000 bouchots dans la baie, et les huîtres, creuses ou plates, qui représentent près de 5 000 tonnes de production chaque année. Au total, la baie compte 119 entreprises conchylicoles qui emploient 600 personnes, rappelle la préfecture.
Mais cette activité économique menace aujourd’hui l’écosystème du littoral, selon plusieurs associations environnementales. Il faut dire que la liste des matériaux plastiques utilisés par les conchyliculteurs est longue, énumère Marie Feuvrier, présidente de l’Association pays d’Émeraude mer environnement (Apeme). Au menu, des filets accrochés autour des pieux à moules de bouchot, des cônes en bas pour éviter les attaques de crabes, des rubans effarouchants au sommet pour faire fuir les oiseaux, mais aussi des poches à huîtres en plastique et leurs élastiques.Tous ces morceaux de plastique sont régulièrement rejetés en mer par la force des vagues, notamment lors des tempêtes. Une fois détachés, ces déchets s’échouent sur le rivage et les plages de la baie ou se transforment en petites particules de plastique, très polluantes.”La mer est plus forte que nous”Depuis plusieurs années, l’ostréiculture et la mytiliculture sont devenues une véritable “plasticulture”, dénonce l’Association de nettoyage au service de l’environnement et du littoral (Ansel), qui s’occupe notamment de ramasser ces déchets. Et les conséquences sont préoccupantes. “Certains oiseaux se prennent les pattes dans des cordages et on retrouve des cormorans avec des morceaux de plastique, note Gérard Prodhomme, administrateur chargé de la mer et du littoral à l’association Bretagne vivante. On organise des visites sur ces sites pour l’observation des oiseaux et on a des remarques permanentes sur ces déchets.”Les associations pointent aussi le comportement d’une partie des professionnels. “L’individualisme de chaque producteur provoque ces dégâts, tance Pierre Lebas, président des Amis du rivage de la baie du Mont-Saint-Michel. Certains mytiliculteurs prennent le soin de ramener ces déchets au port, mais d’autres n’en ont rien à faire et laissent tout sur place.”Les professionnels ne sont même pas respectueux de l’image du Mont-Saint-Michel qu’ils utilisent pour vendre leurs huîtres.Pierre Lebas, président des Amis du rivage de la baie du Mont-Saint-Michelà franceinfoLes conchyliculteurs que nous avons contactés reconnaissent l’existence de cette pollution, mais affirment qu’ils sont de bonne volonté pour la limiter. “On est vigilants là-dessus. On essaye de ramasser les plastiques sur les bouchots”, assure un producteur de moules, pas franchement enchanté lorsqu’on aborde le sujet des déchets plastiques. “On en voit beaucoup sur le rivage”, lâche-t-il, avant de se reprendre : “Enfin, on en voit. Mais moins qu’avant.”“On essaye de travailler correctement, mais la mer est plus forte que nous, justifie de son côté Ghislain Barbé, producteur de moules au Vivier-sur-Mer (Ille-et-Vilaine). C’est compliqué de ne pas avoir de déchets en mer, à cause des intempéries. On ne peut pas dire qu’on est parfaits, mais il y a des efforts qui sont faits.”Des initiatives lancées avec les professionnelsLa préfecture, elle, tente de relativiser le problème. “A l’échelle départementale, l’ampleur des pollutions plastiques est assez difficile à mesurer, tout comme les effets sur le milieu marin ou la part des déchets liés aux seules cultures marines”, nous indique-t-on. Les autorités préfèrent communiquer sur les initiatives mises en place avec les syndicats de la profession. Ainsi, certains cônes en plastique, accrochés en bas des bouchots, sont désormais gravés, pour retrouver les exploitations concernées en cas de rejets. “Nous saluons cette démarche qui incite à faire davantage attention”, indique l’Apeme. Des bennes collectives ont aussi été installées à destination des professionnels.“Des actions de ramassage des déchets échoués sur les plages sont organisées régulièrement tout au long de l’année, particulièrement après les tempêtes”, explique le Comité national de la conchyliculture à franceinfo. “Les moyens sont très insuffisants pour atteindre un objectif raisonnable : très peu de déchets dans un site classé au patrimoine mondial”, nuance toutefois Pierre Lebas, des Amis du rivage de la baie du Mont-Saint-Michel.Tout le littoral français est concernéLa solution pourrait venir des avancées technologiques. Des filets biodégradables ont ainsi été testés dans le Morbihan, rapporte Le Télégramme. En Poitou-Charentes, des coupelles en bioplastique, composées de 30% à 60% de glucose végétal ainsi que de résidus de coquilles d’huîtres, ont été développées avec le comité régional conchylicole, rapporte Ouest France.Car cette pollution plastique va au-delà des frontières de la baie du Mont-Saint-Michel. Sur la Côte d’Opale (Hauts-de-France), “la conchyliculture peut être localement la cause d’une impressionnante présence de déchets sur les plages”, rapporte Jonathan Henichard, de l’association Sea-Mer, chargée d’identifier les déchets du littoral. Idem plus au sud, sur le littoral de Charente-Maritime, où “nous estimons à environ 10 tonnes par an la quantité de plastiques échoués identifiés ‘conchyliculture'”, explique Fabrice Faurre, du bureau d’étude TEO La Rochelle. Tout le long des côtes françaises, des professionnels tentent ainsi de remédier à cette situation. Mais “il faut aussi nous laisser du temps pour arriver à des produits bons pour l’environnement, plaide le producteur de moules Ghislain Barbé. Un médicament, ça met vingt-cinq ans à arriver sur le marché…”