L’habitabilité de la planète va changer. C’est le terrible constat d’Une fois que tu sais, réalisé par Emmanuel Cappellin, sorti en salles ce mercredi. Pendant huit ans, le documentariste est parti aux quatre coins du monde à la rencontre d’experts et de scientifiques (Jean-Marc Jancovici, Susanne Moser, Pablo Servigne…) pour tenter de comprendre la crise écologique que nous vivons.
L’humanité est embarquée dans un processus qui la dépasse, mais elle a encore la possibilité, en tant que société, de s’adapter aux bouleversements climatiques à venir. Emmanuel Cappellin plonge sa caméra dans l’intimité de ses émotions pour connecter le spectateur aux siennes. A travers cette exploration sensible, il offre quelques clés pour nous aider à transformer positivement le sentiment de désolation provoqué par la crise environnementale. Une odyssée bouleversante qui fait l’effet d’une grande claque (nécessaire).
« Une fois que tu sais » est le premier documentaire grand public à parler frontalement de la collapsologie, pourquoi avoir décidé de mettre un coup de projecteur sur ce sujet ?
Au départ, je n’avais pas les mêmes mots pour parler de ce sujet. J’ai commencé le film en 2012. C’était un film qui s’appelait Ceux qui savent, sur les scientifiques du climat et les experts de l’énergie. Et c’est devenu Une fois que tu sais. J’ai arrêté de me cacher derrière les scientifiques et j’ai commencé à parler à la première personne. Le deuxième changement, c’était la lecture du livre de Pablo Servigne, Comment tout peut s’effondrer. Je me suis dit, il faut que je parle de ce qui me traverse, l’effondrement climatique, qui est de l’ordre de l’irréversible. Pablo Servigne m’a aidé à mettre des mots simples sur ce que j’essayais de raconter, comme « effondrement » et « collapsologie », et de l’assumer dans le film.
N’avez-vous pas peur que la brutalité du propos paralyse le public, à la différence d’un film comme « Demain », de Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui avait réussi à créer un élan auprès du grand public ?
Anne-Marie Sangla, avec qui j’ai écrit et réalisé le film, m’a invité à ouvrir la fin vers des possibles. Je voulais que ce soit une proposition, la plus en pointillé possible, pour éviter que le spectateur ne se rattache immédiatement à une solution. Il n’y a pas de solution. Comme on vit dans un système globalisé, on ne peut pas déplacer le problème ailleurs, alors on voudrait le déplacer dans le futur. L’espoir, c’est que les autres vont résoudre nos problèmes. On a développé une campagne d’accompagnement avec un réseau d’animateurs partout en France qui intervient dans les salles pour recueillir les gens et les cajoler. Et on centralise ce travail sur la plateforme racinesderesilience.org. Ne pas être seul face à ces questions, c’est hyper important. Est-ce que vous pourrissez la vie des gens ou est-ce que tout le monde sait que « le roi est nu » et on a juste besoin que quelqu’un le dise ? Pour beaucoup de gens, le roi est nu depuis très longtemps. Ça leur fait du bien de savoir qu’ils ne sont pas les seuls à voir que le mec est à poil.
« On va changer l’habitabilité de la Terre, c’est certain. Cela va prendre des siècles et on va constamment être dans un processus d’adaptation »
Votre film débute par votre propre prise de conscience du réchauffement climatique et son incidence sur votre quotidien. Pourquoi ne pas avoir choisi d’approfondir un peu plus cette problématique de la solastalgie, la détresse psychique causée par les changements environnementaux ?
C’est l’arche narrative du film. J’avais imaginé chaque protagoniste comme des émotions. Richard Heinberg [fondateur du Post Carbon Institute, expert de l’épuisement des ressources pétrolières] pour la tristesse, Saleemul Huq [expert sur l’adaptation et conseiller en négociation au sein du Giec] pour la saine colère. Jean-Marc Jancovici [ingénieur et conférencier sur l’énergie et le climat] représente la claque dans la tête, la lucidité, ce n’est pas une émotion mais un premier stade. Et Susanne Moser [experte de la montée des eaux et spécialiste de la résilience et de la communication sur le climat au sein du GIEC] est à la fois dans l’intime et dans le politique, elle fait une synthèse assez géniale. Elle raconte les étapes par lesquelles on passe en tant que société et en tant qu’individu avec une simplification des différentes étapes du deuil. Un conflit interne qui passe à travers différentes émotions, avec des retours en arrière, et par moments des déclics qui posent de nouvelles questions. Et ce conflit interne, peu à peu, se politise. On peut passer par la solastalgie, et s’en défaire. C’est plus large que cette émotion. Le besoin de donner un droit de cité à l’émotion sur un sujet souvent traité de manière cartésienne, c’est le parti pris du film.
Quel est votre conseil aux gens qui vivent cette détresse, un bon anxiolytique ?
Je n’en prends pas ! Je n’ai pas de conseil, je raconte mon cheminement… Le lien avec l’autre au quotidien, ne pas vivre les choses seul, c’est important. Il faut à la fois dramatiser et dédramatiser. Toutes les traditions spirituelles nous encouragent à accueillir notre vulnérabilité et à mourir en conscience. Au quotidien, on vit très bien notre mortalité parce qu’on vit dans un déni. Aujourd’hui, on sent que notre grand projet émancipateur, la modernité, sur lequel reposent tous nos idéaux humanistes est en train de se casser la figure. Mais ce n’est pas impossible d’accepter qu’on est sur une fin de cycle civilisationnel. Tant qu’on n’est pas mort, on est vivants. Il y a des choix quotidiens, dans les liens qu’on entretient ou pas, de solidarité ou pas. Comment se projette-t-on ? Cette question me donne envie de tout donner même si ça foire. Parce que, en effet, ça va sans doute foirer. On va changer l’habitabilité de la Terre, c’est certain. Cela va prendre des siècles et on va constamment être dans un processus d’adaptation. Comment cette adaptation va-t-elle se faire collectivement ? Comment fait-on pour ne pas déraper complètement ? Eviter l’ingérable et gérer l’inévitable.
Vous donnez l’exemple du Bangladesh pour donner à voir un autre futur que celui du chaos décrit par certains collapsologues, comment voyez-vous les années qui arrivent ?
Le Bangladesh montre des gens qui vivent déjà des catastrophes climatiques. On n’est pas du tout dans la série L’Effondrement de Canal+ où l’homme est un loup pour l’homme. Les gens vivent très dignement. L’humain est un animal extrêmement résilient qui s’adapte sous la contrainte. Mais il y a une limite à l’adaptation et on va ailleurs, ça pose la question politique des mouvements humains. Le Bangladesh est un tournant important dans le film. Il permet de sortir du nombrilisme occidental. Ce qui est un effondrement pour nous, c’est le quotidien de millions de gens sur Terre.
Comment avez-vous accueilli le dernier rapport du Giec dévoilé cet été ?
On est dans une sorte de grande tragédie grecque. Les oracles modernes sont les modèles climatiques, les sibylles contemporaines sont les scientifiques, des sortes de prophètes du malheur chargés de dire : « Voilà ce que nous a dit l’oracle ». Et nous, avec cette information, on veut changer notre destinée. Mais, on est dans un processus géologique qui nous dépasse. Ce qui est important, c’est comment on vit avec cette réalité. Le climat est beaucoup plus grand que nous.
« Comme dirait Jean-Marc Jancovici, c’est difficile d’avoir une discussion calme quand tout le monde a faim »
Click Here: derry gaa jerseys
Vous semblez adhérer totalement à ce récit effondriste, qu’en est-il ?
J’adhère au récit selon lequel on va vers une descente énergétique, que ce soit parce qu’il faudra diviser l’énergie disponible entre plus de gens et d’activités, ou parce qu’il y aura une vraie contrainte sur l’approvisionnement énergétique. Il y a déjà des contraintes sur l’approvisionnement et je pense que ça va aller en grandissant. Il y a une part de conviction personnelle parce que personne ne connaît le futur. Sur le reste, je parle plutôt d’effritement. Je parle par contre d’effondrement climatique parce qu’on va vers une nouvelle norme climatique. On est en train de refermer la parenthèse, qui s’appelle l’Holocène, dans laquelle on a vécu ce fleurissement incroyable. On ne vivra pas de la même manière dans les siècles à venir, une augmentation de 1 °C, c’est une décroissance important des rendements agricoles, dans des foyers de production agricole comme l’Inde. On est en train de changer les zones de productions agricoles dans le monde. Comme dirait Jean-Marc Jancovici, « c’est difficile d’avoir une discussion calme quand tout le monde a faim. »
La sortie du film arrive en plein démarrage de la campagne électorale, est-ce un enjeu pour vous de forcer le débat à se saisir de ces questions ?
Pas du tout, je ne me fais aucune illusion. Si le sujet intègre le débat d’une manière ou d’une autre, tant mieux. C’est super que les gens aillent vers l’écologie. Aujourd’hui, c’est l’une des principales préoccupations des Français, c’est inédit. On va voir peut-être avoir un gouvernement écologiste demain, et aller vers des formes encore plus extrêmes après-demain, les fameux Khmers verts, les écotyranniques… On peut aller dans une direction qui impose de faire un effort de guerre collectif pour éviter la catastrophe. Pour emmener tout un pays, il faut promettre quelque chose. On s’expose à un énorme retour de bâton car on ne va pas pouvoir tenir nos promesses. Les gens auront été mobilisés grâce à une vision porteuse d’espoir, avec les petits gestes ou des grands gestes, et au bout du compte, ça aura foiré.
N’y a-t-il plus rien à faire ?
Ce qu’on va faire est absolument insuffisant mais nécessaire. Dire : « On va en chier, ça ne va pas suffire, et c’est ça notre projet », ce n’est pas un discours politique très fertile. Il faut élargir. Ce n’est pas qu’une question de climat, c’est aussi une question d’adaptation à une descente énergétique. Il est intéressant pour les Français de se préparer à une descente énergétique qui va s’imposer à eux, de mettre en place des choses qui leur donne un avantage d’adaptation si on veut prendre des termes darwiniens. Qu’est-ce que cette vague verte va amener ? Ne risque-t-elle pas d’amener un énorme repli de déception d’un public à qui on avait dit, avec l’écologie on va s’en sortir ?
Culture
Dans les médias et les séries… Comment la collapsologie a-t-elle fini par être prise au sérieux ?
Culture
« Il est trop tard pour sauver la société dans laquelle on vit », selon Jem Bendell, auteur d’« Adaptation Radicale »